Depuis que l’État d’urgence s’est imposé comme l’orchestrateur de nos états collectifs et singuliers, nous sommes constamment incités à épouser son rythme et sa logique : réagir au plus vite, répondre en urgence aux différentes situations et surtout assigner chacune d’elle à la résidence d’une identité isolée, repliée sur soi : d’un côté les défenseurs des migrants, de l’autre les zadistes, de l’autre encore les activistes écologiques et soucieux des changements climatiques ou les militants LGBTQI…
Ainsi, alors que depuis quelques mois un mouvement se compose et s’inscrit dans le temps tout en inscrivant « le temps » comme un possible retrouvé et par lequel on se retrouve et se rencontre différemment, hors des assignations-identifications ; alors que les Gilets Jaunes font surgir un nouvel espace temps où la ligne droite de « la marche » précipitée est remplacée par la circularité du rond point occupé dans la durée ; alors qu’une scène politique nouvelle apparait là et vient bouleverser l’ordre des regards et des discours, un encore trop gros nombre de mises en scènes médiatiques, politiciennes ou policières persistent dans une esthétique inadaptée et une rhétorique viciée. Il faut diagnostiquer vite, donner la parole à des « cas isolés » (le Gilet jaune violent, le Gilet jaune pacifiste, le Gilet Jaune anti-migrant, le Gilet Jaune climatosceptique, le Gilet jaune anti raciste, le Gilet jaune militant écologiste…). Il faut au plus vite apporter la bonne interprétation, construire le nouveau choc, le surprenant scandale, l’efficace représentation globale et urgente qui saura gommer la puissance de ces nouvelles présences, locales et pourtant connectées au travers de ces localités qui étaient jusqu’alors tenues séparées.
Or, de semaine en semaine les actes se répètent et échappent toujours plus aux pré-visions comme aux représentations. Ils font exploser le format attendu de nos dramatiques collectives et ont depuis longtemps déjà dépassé les 5 actes des pièces classiques et débordé les nécessaires unités de temps et de lieu. Pouvoir voir ce qui se joue là demande donc peut-être à ce que l’on suive les renversements en privilégiant les temps d’après de la conversation collective sur les temps d’avant des prévisions propres aux plans policiers. Il nous faut d’autres scènes, des scènes qui « font place » à l’hétérogénéité d’une mobilisation qui traverse le temps et produit des traversées de temporalités, produisant d’improbables alliances entre les séquences historiques de nos révolutions passées et celles ultra contemporaines des enjeux nouveaux de la mondialisation (du climat à la question migratoire en passant par les abstractions financières…).
En un lieu qui repense constamment les formats de ses scènes afin d’accueillir les dynamiques qui relient passé et présent, en ce lieu du théâtre de Nanterre-Amandiers, nous souhaitons donc inaugurer une série de temps d’après où, après les actes du samedi, des personnes diverses et qui luttent ensemble mais pour des enjeux différents seraient inviter à converser. Personnes mobilisées en tant que gilets jaunes, historiens, philosophes éco-féministes, avocats militants, activistes et hactivistes, citoyens engagés dans les luttes anti-racistes ou les actes de solidarité avec les personnes exilées, artistes inventeurs de mondes possibles qui font écho aux mondes en devenir portés par le mouvement… : toutes et tous seront convoqués à prendre ce temps de l’échange et de la composition d’une parole qui dure et n’est pas capturée par les « urgences » du portrait d’actualité.
Ces rencontres s’inscrivent dans le cadre du cycle Mondes possibles et prendront effet au moment où, sur la grande scène du théâtre se reprend (et continue de durer) une pièce qui tente, elle aussi, de penser les ineffaçables relations qui persistent et nous lient au travers de nos divisions : La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat (du 7 au 17 février).
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