Créé en 1996 par un chorégraphe de 23 ans, Aatt enen tionon posait d’emblée des questions radicales : qu’est-ce que la danse sans circulation des corps, sans échange sensoriel entre les interprètes, et surtout, sans recours à aucune des « ficelles du spectaculaire » ? Le résultat — un fascinant trio « confiné » dans un échafaudage métallique ouvert sur trois niveaux — se regarde aujourd’hui comme une prémonition étrange de nos univers contemporains.
En plaçant les trois danseurs — dont lui-même — dans des conditions contraintes, sans possibilité de se toucher ni de se regarder, Boris Charmatz réduit le geste à ses plus infimes variations et le spectacle à son essence. Privé d’interaction, chaque protagoniste est aussi limité dans ses déplacements. Sur une surface vitale réduite aux dimensions de sa plateforme, il se livre à un exercice solitaire d’introspection gestuelle, à l’écoute de ses propres organes. Le public, à l’inverse, jouit d’une vision d’ensemble. Appréciant les décalages ou les synchronies naissant de ces exercices individuels, il recompose par son regard une partition commune.
Ce que Charmatz décrit comme « un bloc chorégraphique monolithique » s’avère donc une construction au « désordre strict » infiniment complexe, qui affirme plus que jamais le pouvoir intrinsèque de la représentation. La tension qui, en dépit de tous les obstacles, naît entre ces trois corps distanciés, aux mouvements guidés par leur seule logique interne, est aussi simple que puissante.
Isabelle Calabre
Danseur, chorégraphe et directeur de Terrain, Boris Charmatz soumet la danse à des contraintes formelles qui redéfinissent le champ de ses possibilités. La scène lui sert de brouillon où jeter concepts et concentrés organiques, afin d’observer les réactions chimiques, les intensités et les tensions naissant de leur rencontre. D’Aatt enen tionon (1996) à infini (2019), il a signé une série de pièces qui ont fait date, en parallèle de ses activités d’interprète et d’improvisateur. Il cosigne les livres Entretenir/à propos d’une danse contemporaine avec Isabelle Launay, Emails 2009–2010 avec Jérôme Bel, et signe Je suis une école. En 2017, le MoMA (Museum of Modern Art, New York) publie la monographie Boris Charmatz, dirigée par Ana Janevski. Boris Charmatz a été directeur du Musée de la danse/Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne de 2008 à 2018. Il a également été artiste associé de l’édition 2011 du Festival d’Avignon et de la Volksbühne Berlin pour la saison 2017-2018. À Nanterre-Amandiers, il a présenté enfant en 2014 et 10000 gestes et infini en 2019. En janvier 2019, il lance [terrain], structure implantée en Région Hauts-de-France et associée au Phénix scène nationale de Valenciennes, à l’Opéra de Lille et à la Maison de la Culture d’Amiens. Boris Charmatz est également artiste accompagné par Charleroi danse (Belgique) pour trois ans (2018-2021).
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