TRIBUNE PUBLIÉE DANS LE MONDE – LE 04/12/2025
« Par le théâtre, les élèves découvrent que le ciment réparateur de toute société est l’attention portée à l’autre »
Emmené par l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale, un collectif de personnalités du monde du théâtre, dont Isabelle Huppert, Thomas Jolly et Wajdi Mouawad, s’inquiète, dans une tribune au « Monde », de la diminution des moyens accordés à cet art dans l’éducation.
L’initiation au théâtre dans l’éducation est précieuse, à tous les niveaux scolaires. Comme pour les autres arts du spectacle vivant – arts du cirque, de la rue, de la marionnette et danse –, elle suppose le lien direct avec les lieux de création et l’apport des artistes au sein même des classes et des établissements scolaires. La pérennité de cette expérience de rénovation pédagogique réussie et de démocratie culturelle est pourtant aujourd’hui mise en danger.
Tout indique en effet que le travail important développé depuis des décennies par nombre d’enseignants et de structures théâtrales, renforcé grâce à l’élan donné par le plan Lang-Tasca pour les arts et la culture à l’école (mis en œuvre à partir de 2001), se trouve désormais gravement fragilisé. Budgets réduits, gestion erratique du Pass culture, coupes drastiques des financements aux associations régionales de théâtre-éducation, menaces sur les options théâtre en lycée, absence de soutien aux ateliers théâtre, réduction des sorties au théâtre avec les élèves, mise en suspens des outils pédagogiques, abandon des formations conjointes entre artistes et enseignants…
Tous ces reculs conjugués démoralisent de nombreux partenaires artistes et enseignants, et privent des milliers d’élèves de formes de transmission coopératives et dynamiques. Celles qui permettent d’apprendre collectivement, de façon active et vivante, en reliant passé et présent, art et savoir.
Un art rassembleur
Avons-nous besoin de justifier ce que nous savons depuis trois mille ans : que le théâtre est un art civilisateur et rassembleur, qu’il met les mots du poète dans le souffle et le mouvement des corps, qu’il interroge notre histoire et notre façon de rendre le monde plus humain ? Faut-il réaffirmer ce que les élèves, les parents, les chefs d’établissement, les enseignants, les artistes, les auteurs, les éditeurs, les élus disent, c’est-à-dire que ces expériences d’initiation sont bénéfiques et irremplaçables dans le parcours scolaire des élèves et leur devenir ? Faut-il préciser que les universités, comme certaines entreprises, reconnaissent les acquis essentiels conférés par de telles initiations – le sens du collectif, un autre rapport à la langue et à l’oral, des capacités d’invention, d’organisation et de prise d’initiative ? Doit-on rappeler que le président de la République lui-même avait déclaré, en janvier 2024, que le théâtre devait être « un passage obligé au collège » ?
A l’heure où l’école a besoin de se réinventer, où la culture et la création sont plus utiles que jamais pour décrypter les complexités du monde, réduire inexorablement la place du théâtre dans l’éducation, pourtant unanimement saluée comme un espace de citoyenneté vécue, ne semble pas le bon choix. A l’heure où le monde des écrans et des réseaux sociaux envahit le temps et l’esprit de nos enfants, où la « virtualisation » conduit trop d’élèves au repli sur soi ou au refus haineux des différences, les projets et les enseignements de théâtre sont un petit archipel où les élèves découvrent, par le jeu et le personnage, que le ciment réparateur de toute société est l’attention portée à l’autre.
Dans l’immédiat, un nombre considérable d’actions prévues cette année disparaîtront si rien n’est fait pour modifier l’orientation budgétaire actuelle, catastrophique tant au plan national qu’au niveau des collectivités. Nous demandons donc aux ministères de la culture et de l’éducation nationale et aux collectivités territoriales que soient au moins maintenus les financements pour tout ce qui existe en matière de théâtre dans l’éducation. Cela conformément à la charte créée par le Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle en 2016.
Pour l’avenir, nous lançons un appel aux enseignants, aux artistes, aux élèves, aux parents, aux équipes éducatives, aux syndicats, aux associations, aux responsables politiques pour que l’apprentissage du théâtre soit effectivement considéré comme une cause nationale. Il devra être au cœur d’une refondation de notre école, où l’éducation par l’art doit avoir toute sa place.
Les temps sont difficiles, les incertitudes s’accumulent, les contraintes budgétaires obligent à des choix politiques. Raison de plus pour offrir à nos enfants une éducation artistique et culturelle de qualité. N’attendons pas, car, comme l’écrit Albert Camus de façon visionnaire, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ».
Premiers signataires : Carole Albanese, directrice de L’Estive-Scène nationale de Foix et de l’Ariège ; Julie Deliquet, directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis ; Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d’automne, président de l’Anrat ; Jean-Claude Grumberg, auteur dramatique et scénariste ; Isabelle Huppert, comédienne ; Thomas Jolly, comédien, metteur en scène, membre d’honneur de l’Anrat ; Benjamin Lavernhe, sociétaire de la Comédie-Française ; Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation, président des Ceméa (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) ; Ariane Mnouchkine, directrice de la compagnie du Théâtre du Soleil ; Wajdi Mouawad, auteur, directeur du Théâtre national de la Colline ; Françoise Nyssen, présidente du Festival d’Avignon, ancienne ministre de la culture ; Robin Renucci, comédien, directeur du Théâtre de La Criée à Marseille.
Ajoutez le site sur votre écran d'accueil pour un accès plus rapide !
Appuyez sur
puis “Sur l'écran d'accueil”